
Deux hommes sont morts à Bursard le 26 août 2017 dans la voiture qui a percuté un tracteur. Leur conducteur a été condamné à quatre ans de prison avec sursis, mardi 2 avril 2019, après deux audiences renvoyées. (©L’Orne-Hebdo)
« La voiture est arrivée comme une balle. Les témoins, à près d’un kilomètre du drame, le disent : ils ont entendu un sifflement sur la route puis une explosion juste après. »
Voilà comment François Coudert, le procureur de la République, a résumé le tragique accident du 26 août 2017, à Bursard, près d’Alençon.
Ce samedi-là, vers 19 h, à l’issue d’une fête de famille, un Alençonnais de 54 ans, son beau-frère de 53 ans et le gendre de celui-ci, âgé de 29 ans, décident d’aller « essayer » la nouvelle voiture du premier.
60 jours d’arrêt
Les trois hommes embarquent à bord, l’Alençonnais prenant le volant. Quelques kilomètres plus tard, à la sortie d’un virage, la nouvelle Lexus percutera la remorque d’un ensemble agricole qui, depuis le couloir de circulation opposé, tournait sur sa gauche.
Dans le choc, le passager avant, Marc, et le jeune passager arrière, Cyril, sont morts sur le coup. Le conducteur a été grièvement blessé et héliporté au CHU de Caen, victime d’un traumatisme crânien, d’une blessure à l’épaule et d’une fracture à la main droite. Il a écopé de 60 jours d’arrêt de travail.
Jugé pour homicide involontaire, il avait comparu devant le tribunal correctionnel d’Alençon en janvier 2018 dans le cadre de la procédure de comparution immédiate. Comme la loi l’y autorise, il avait alors demandé un délai pour préparer sa défense. Lors du renvoi, en avril 2018, ses conseils avaient demandé un complément d’enquête, validé par le tribunal.
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Une troisième audience s’est donc tenue ce mardi 2 avril et a débouché sur la condamnation du conducteur de la Lexus à quatre ans de prison avec sursis. Son permis est annulé et le prévenu a l’interdiction de se représenter à l’examen de conduite avant 4 ans. Il devra, en outre s’acquitter d’une amende de 750 € pour défaut de maîtrise de son véhicule.
À 155 km/h, 250 m avant l’impact
Les expertises réalisées sur sa voiture ont établi que le conducteur avait roulé à 159 km/h sur cette départementale alors autorisée à 90 km/h maximum. « Le calcul Airbag de la Lexus fait état d’une vitesse à 122 km/h avant la collision mais n’enregistre pas au-delà de cette vitesse », signale Anne Dubost, la présidente du tribunal.
« D’après les expertises, vous rouliez à 155 km/h après avoir accéléré jusqu’à 159 km/h, 4.9 secondes soit 250 m avant la collision et vous avez amorcé le freinage d’urgence 2.9 secondes, soit 115 mètres, avant le choc. ».
La vitesse du tracteur a été évaluée à 40 km/h avant sa décélération pour tourner sur sa gauche.
« Celle de la remorque est estimée à 8 km/h quand elle est percutée ».
La présidente du tribunal a signalé :
« A 90 km/h, selon l’expert, la voiture s’arrêtait avant l’intersection où s’est produit le drame et la Lexus pouvait s’arrêter avant la zone de choc jusqu’à une vitesse de 120 km/h ».
Elle mentionne également que l’ensemble agricole, qui avait soulevé le renvoi de la précédente audience par la défense, « ne présentait pas de difficultés réglementaires ».
0,3 g/l d’alcool à son arrivée au CHU de Caen
Du côté des témoins, le conducteur du tracteur assure ne pas avoir vu la voiture arriver. Sa sœur, alors passagère, « a vu la voiture après que le tracteur a engagé sa manœuvre ». Elle avait noté « qu’elle roulait vite ». Tout comme l’infirmière qui circulait « à 90 km/h » dans le même sens que la Lexus et qui avait été dépassée par celle-ci « à une vitesse excessive ».
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L’alcoolémie du conducteur du tracteur était négative. Celle du conducteur de la Lexus, positive. « Un examen sanguin à votre arrivée au CHU de Caen, vers 22 h 50, l’a établie à 0,3 g/l de sang. D’après l’expert, elle a donc été estimée entre 0,6 g/l et 1,1 g/l lors de l’accident », ajoute la présidente.
« Peut-être qu’on regardait l’écran GPS »
À la barre du tribunal, l’Alençonnais aujourd’hui âgé de 56 ans confirme qu’il avait bu « un punch, deux verres de vin et une coupe de champagne tout au long de la journée mais la coupe de champagne, plutôt en soirée ».
Comme il l’avait mentionné dès la première audience, il ne se souvient plus de l’accident. Il est suivi psychologiquement depuis.
Face aux juges, il reconnaît sa « grande part de responsabilité » dans ce drame. Ce qui engendre une question du procureur : « Ce n’était pas la faute des passagers ? » Réponse du prévenu : « Non mais il y a eu quelqu’un qui m’a coupé la route ».
Le procureur lui oppose alors son non-appel à l’ordonnance qui le « désigne comme seul et unique responsable de cet accident ».
Le laps de temps qui s’est écoulé entre sa décélération et son freinage, il l’explique par le fait que :
« l’écran GPS de la voiture indiquait à quel moment le moteur électrique se substituait au moteur thermique. Peut-être qu’à ce moment, on était dessus et je n’ai pas regardé en face ».
Son expertise psychiatrique mentionne qu’il n’est pas dans une « position victimaire ». « Il est fragilisé par l’accident et sa survie dépend du seul lien avec ses filles », complète le médecin psychiatre. « J’aurai dû dire non. En plus, j’avais des rendez-vous derrière », déclare-t-il à la barre.
Des victimes investies auprès de leurs familles
Pour Me Didier Lefèvre, l’avocat du conducteur du tracteur :
« la vitesse du prévenu est la cause exclusive de l’accident et comme le dit l’expert, l’ensemble agricole était conforme. Mon client n’aurait pas dû tourner ? Ce point n’est pas contestable puisque même la passagère du tracteur n’a rien vu venir ! »
L’avocate des parents de Cyril, le jeune passager de 29 ans, fait état d’une « famille dévastée » depuis cet accident « dû à la bêtise et à l’irresponsabilité humaine ». Selon Me Delphine Jean, le prévenu « a sciemment enfreint la loi dès qu’il est monté dans sa voiture et avait l’intention de ne pas respecter le Code de la route ». Elle dresse ensuite le portrait de Cyril, « jeune homme bienveillant, engagé dans sa vie professionnelle, familiale mais aussi associative ».
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L’avocate de l’épouse et des filles de Marc évoque également « un homme investi professionnellement et auprès de sa famille ». Me Elodie Giard resitue le contexte familial de la fête du 26 août :
« Le prévenu n’avait pas revu sa famille depuis 7 ou 8 ans. Il renouait avec sa sœur, son beau-frère et sa famille au moment de l’accident. Et aujourd’hui, il n’a pas de remords et se pose en victime en annonçant qu’il a une part de responsabilité, ce qui laisserait entendre qu’il n’est pas le seul ! Et quand bien même il aurait tenté de dire que les passagers auraient insisté, ce que dément sa sœur et épouse de Marc, ça n’explique pas l’alcool et la vitesse excessive ! »
« Il a fait le kéké »
Pour François Coudert, le procureur de la République, la responsabilité du prévenu « est pleine et entière » :
« Il a fait le kéké à la sortie d’un mariage et que la voiture soit thermique ou électrique, le résultat est le même ! Il n’a pas regardé en face de lui alors qu’il aurait pu s’adapter à la situation. »
Il requiert cinq ans de prison dont trois ans assortis d’un sursis, l’annulation du permis de conduire du prévenu et l’interdiction de se représenter à l’examen avant 7 ans ainsi qu’une amende de 750 €, « le maximum », pour le défaut de maîtrise.
« Il est coupable mais est-il le seul responsable ? »
Pour l’avocat de la défense, le prévenu est « coupable d’avoir, le 26 août 2017, prit sa voiture et roulé trop vite » :
« Est-il, pour autant, le seul responsable juridiquement et moralement ? Les deux passagers savaient que la voiture allait être essayée ! Mon client aurait dû dire non mais un accident est toujours dû à l’erreur, jamais à la fatalité et cet accident est dû aux 150 km/h. »
Selon Me Hubert Guyomard, « à tout le moins, l’ensemble agricole a été imprudent dans sa manœuvre ». Il juge les réquisitions du Parquet « excessives » avant de pointer « la douleur » de son client, « pas comparable à celle des victimes mais nous n’allons pas comparer les douleurs ».
Il rappelle que le prévenu est « artisan et qu’il continue à travailler mais il a besoin de son permis aussi à cette fin ». Il invite alors le tribunal à « réduire sensiblement l’interdiction de le repasser » mais aussi « à rendre une décision juste et attendue avec inquiétude par mon client ».
Le tribunal correctionnel d’Alençon l’a finalement condamné à quatre ans de prison avec sursis. Son permis est annulé. L’Alençonnais de 56 ans a l’interdiction d’en resolliciter un avant quatre ans. Il devra également s’acquitter d’une amende de 750 € pour défaut de maîtrise et verser 2 000 € de dommages et intérêts au couple propriétaire du tracteur ainsi que 29 400 € pour la remorque et 800 € de frais d’avocat.