
« La commission d’enquête sur l’affaire Benalla a très bien travaillé. Ce qui a été vu à la télé, c’est la façon dont on travaille tous les jours, dans le respect mutuel et pour l’intérêt général. Le Sénat est une chambre totalement indépendante, par rapport à l’Assemblée nationale… » commente Muriel Jourda, sénateur LR du Morbihan. (©Pontivy Journal )
Originaire de Lorient, Muriel Jourda, 52 ans, a été élue sénateur du Morbihan en septembre 2017, sous l’étiquette Les Républicains. Dix mois plus tard, en juillet 2018, l’affaire Benalla explose. Cette avocate et ancienne maire de Port-Louis sera nommée rapporteure de la commission d’enquête du Sénat. Après des mois d’enquête et d’auditions, elle revient sur l’affaire Alexandre Benalla et sur la fonction du Sénat : être un contre-pouvoir. Interview.
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« On avait envisagé de ne pas faire d’audition publique »
Muriel Jourda, vous venez de passer une première année de sénateur assez palpitante avec l’affaire Benalla…
Cela faisait dix mois que j’étais installée. Je venais d’être intégrée au groupe de travail sur la réforme des institutions, ce qui m’a permis de connaître Philippe Bas (Ndlr : sénateur de la Manche, président de la commission des lois constitutionnelles au Sénat). Il m’a proposé d’être rapporteure sur cette mission d’information, qui a été vite rebaptisée commission Benalla.
Au final, cette mission a été un travail assez technique, très juridique : des questions de droits et sur le fonctionnement de l’État qui m’ont beaucoup demandé de travail.
Pensiez-vous que cette affaire aurait eu cet impact sur l’opinion publique ?
Au début, je ne pensais pas que ça aurait cette ampleur.
Nos auditions ont connu des taux d’audience incroyables : dès la première audition, des gens nous arrêtaient dans la rue, partout.
Alors qu’on avait envisagé de ne pas faire d’audition publique, mais c’est une chose heureuse : ça a permis aux Français de voir comment était exercée la mission de contrôle du Sénat, de voir simplement que ça existe.
« Le sénat est transpartisan »
Pour qualifier l’attitude d’Alexandre Benalla lors des auditions, le mot ’’arrogant’’ revient souvent. Qu’en pensez-vous ?
Oui, arrogant. Nous dire que sur la photo où il pointe une arme sur la tête d’une personne, c’est un pistolet en plastique, il nous prend vraiment pour des imbéciles.
Il s’est permis tellement de choses, se croyant protégé.
Comme donner des ordres à lieutenant-colonel de la gendarmerie quand les Bleus sont rentrés de la Coupe du monde. Ou prendre la place de gendarmes du GSPR (Groupe de sécurité de la présidence de la République).
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Ces auditions ont aussi montré des sénateurs très soudés, qu’ils soient de droite ou de gauche…
C’est le cas. Les sénateurs de La République En Marche ne nous ont pas fait obstacle pour nos demandes d’enquête. Mais le Sénat est transpartisan : on peut être en désaccord de fond, c’est la démocratie ; mais on peut être d’accord sur des sujets plus sociétaux, moins politique. Par exemple, la revitalisation des centres-bourgs a été un texte déposé par un sénateur socialiste et un LR.
Le Sénat est avant tout une assemblée de territoires, pas de partis. Même si on est dans la majorité sénatoriale, on est capable de travailler ensemble quel que soit le bord politique. C’est la marque de fabrique du Sénat. La commission d’enquête sur l’affaire Benalla a très bien travaillé. Ce qui a été vu à la télé, c’est la façon dont on travaille tous les jours, dans le respect mutuel et pour l’intérêt général. Le Sénat est une chambre totalement indépendante, par rapport à l’Assemblée nationale…
« Qu’il existe un contre-pouvoir, c’est une vertu »
Le Sénat est donc un contre-pouvoir ?
Le Sénat, un contre-pouvoir ? C’est clair, ça s’est vu et c’est nécessaire. D’autant plus que l’Assemblée nationale a le même rôle de contrôle que le Sénat. Mais elle ne l’exerce plus vraiment, elle est trop dépendante du pouvoir exécutif.
Qu’il existe un contre-pouvoir, c’est une vertu : l’exécutif ne peut pas faire n’importe quoi sans un contrôle. Indépendance et liberté, c’est la culture du Sénat.
Gérard Larcher, président du Sénat, a cette devise, reprise et appliquée par tous : jamais oui par dogmatisme, jamais non par discipline. Même si le Sénat a pu avoir la même couleur politique que l’exécutif, ce n’est pas une chambre d’enregistrement. Ceux qui veulent nous supprimer ne savent pas comment on travaille.
« Avec le Grand débat national, on est un peu à l’arrêt »
Vous pensez que la fonction de sénateur manque de visibilité…
Il y a un manque de connaissances des électeurs sur la fonction de parlementaire en général ; encore plus quand vous êtes élu par d’autres élus, comme les sénateurs.
Quand on n’est pas dans l’hémicycle, on n’est pas à la pêche non plus : on travaille en commission, comme ce qui a été montré à la télé. Le vote d’une loi, c’est l’aboutissement d’un travail qui se fait à un moment donné.
J’ai découvert une chambre où on travaille intensément : on est trois jours à Paris, à travailler de 8 h 30 à minuit avec des administrateurs de haut niveau en droit. Et je suis quatre jours dans le Morbihan, je siège toujours à l’action sociale du Conseil départemental : on peut difficilement prétendre défendre l’intérêt général si on n’a pas un pied dans la réalité.
L’affaire Benalla est passée, vous allez donc vous remettre à la réforme des institutions…
On n’a pas encore de date officielle pour reprendre le travail sur la réforme des institutions : on voulait y introduire l’étude d’impact et l’évaluation des lois, pour nous permettre de mieux légiférer ou pas. Avec le Grand débat national, on est un peu à l’arrêt.
On ne vote quasiment plus rien en termes de propositions de loi : le seul moment où on voit les ministres, c’est lors des sorties du Président de la République.
Pourtant, le Sénat avait alerté le gouvernement lors du vote du budget, où figurait la hausse de la taxe sur les carburants. Un sénateur les avait même prévenus : « Vous aurez les Bonnets rouges ! »
Le Grand débat national : « Il y aura forcément des déçus »
Que pensez-vous du Grand débat national ?
J’ai pris de la distance vis-à-vis du Grand débat national. Que va-t-on en retirer ? De ce que j’ai entendu, il y a une grande disparité dans les propos. Jusqu’à quel point peut-on en retirer quelque chose ?
Certains veulent supprimer le Sénat : c’est assez paradoxal que le souhait des Français soit de supprimer une chambre qui les entend, aussi bien sur la taxe carburant, que sur les 80 km/h… Pour l’instant, l’action du gouvernement est suspendue : personne ne sait comment on va sortir d’un débat qui a donné lieu à des échanges très disparates. Il y aura forcément des déçus.
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