
Et là, c’est le drame : Sébastien Vahaamahina essaye de faire une passe sautée… (©Icon Sport)
Ça y est, c’est le début du Tournoi des VI Nations ! Ou plutôt du Tournoi des IV Nations qui oppose l’Angleterre, l’Irlande, le pays de Galles et l’Écosse, puisque depuis quelques années la France et l’Italie sont relégués aux rôles de figurants. Un peu comme ces hommes de mains du méchant dans les films d’action, qui se montrent incapables de tirer sur le héros avec une kalachnikov dans un couloir d’hôtel Formule 1.

Dans un tel film, devinez qui se ferait exploser tout seul en ratant un lancer de grenade. (©Bein Sports)
Certes, c’est peut-être un peu sévère de les réduire à ce rôle de faire-valoir. Car par moments, Français et Italiens peuvent créer de belles séquences de jeu, et semblent être en mesure de pratiquer le rugby comme il devrait l’être en 2019, avec de la vitesse, du mouvement et de la dextérité. Malheureusement, ça ne dure souvent qu’une mi-temps, après quoi on pourra qualifier leur style de « valeureux ». Ce qui est moyennement un compliment sachant que mon prof de sport m’a dit que j’avais été valeureux après avoir terminé avant-dernier du cross en 6e (le dernier s’était perdu dans la forêt).
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Pour débuter cette édition 2019 du Tournoi, on a eu le droit à un duel des extrêmes : d’un côté le pays de Galles, qui restait sur une série de 9 victoires consécutives, et de l’autre la France, qui restait sur une série de 9 matches sans changer de sélectionneur, ce qui est déjà ça.
La compo

La composition du XV de France contre le Pays de Galles.
Le film du match
2e : Au bout de deux minutes de jeu sous la pluie à Saint-Denis, Morgan Parra en est déjà à son 8e coup de pied dans la boîte. On est presque tentés de zapper sur Fort Boyard pour voir un peu plus de sport. Puis avec le père Fouras dans le rôle du vieux sage qui parle en énigmes, ça nous changerait pas trop de l’interview de Jacques Brunel à la mi-temps.
3e : Sur la première mêlée du match, les Français sont pénalisés. Ce qui est un peu rigolo quand on sait qu’avant le match, la presse a beaucoup insisté sur le poids du pack français. Il est effectivement impressionnant : 952 kilos, soit l’équivalent 43 Boucliers de Brennus, soit le poids total de l’armoire à trophée imaginaire du club de Clermont-Ferrand.
5e : Heureusement les Bleus se montrent également capables d’envoyer du jeu et Yoann Huget perce la défense galloise après un bon retour intérieur de Damian Penaud. Derrière, ça enchaîne bien et au bout de 10 temps de jeu, Louis Picamoles est servi en position d’ailier. Le n°8 repique au centre et bat deux défenseurs un peu passifs (ou surpris de ne pas le voir foncer tout droit comme à son habitude) pour aller marquer le premier essai du match. Dans une position pourtant assez facile, Morgan Parra rate la transformation. 5-0.

QUAND PICA ÉNERVÉ PAR JOURNALISTES, PICA MARQUE ESSAI (©BeIn Sports)
8e : On ne sait pas si c’est la pluie, ou le fait d’affronter un adversaire qu’ils ne prennent absolument pas au sérieux, mais les Gallois sont entrés dans le match avec autant d’enthousiasme que moi dans un resto vegan. Les hommes de Gatland se font bouger et concèdent une pénalité après un bon grattage de Fofana, probablement soucieux de prouver qu’un centre peut récupérer des ballons dans les rucks tout en étant capable de courir le 100m en moins de 22 secondes. Hélas, Parra rate à nouveau un coup de pied qui semblait dans ses cordes.
15e : Au tour des Gallois d’obtenir une pénalité après un hors-jeu. À 50m légèrement à gauche des poteaux, Anscombe rate également sa cible.
18e : Sur leur premier ballon dans le camp français, les Gallois vont à dame. L’arrière Liam Williams profite d’une montée défensive un peu chelou des Bleus et déchire le premier rideau français. Derrière, il a plusieurs options mais il préfère y aller seul en éliminant aisément Médard, qui rappelons-le, n’a plus gagné de duel en situation de dernier défenseur depuis 2008.

Presque. (©BeIn Sports)
Alors qu’Anscombe s’apprête à taper la transformation, Wayne Barnes revoit l’action sur le grand écran et réalise que Williams a peut-être lâché le ballon au moment d’aplatir, sous la pression de Picamoles qui est revenu sur lui pour le plaquer dans l’en-but. Après examen plus approfondi, l’essai est effectivement invalidé et on peut dire qu’on s’en sort bien car c’était très léger. On notera que si les Gallois étaient en Top 14, ils maîtriseraient la tacti-pute qui consiste à taper vite la transfo avant qu’on ne puisse faire appel au TMO. Trop con pour eux, ils préfèrent être honnêtes.
23e : Cette petite alerte n’a pas refroidi les belles intentions françaises. Penaud réussit à gagner quelques mètres avec une course incisive et derrière, on envoie le ballon au grand large. Fofana puis Ntamack passent dans le bon timing, et Iturria réussit à mobiliser deux défenseurs avant de décaler Huget le long de la ligne avec une jolie chistera. Bubulle démarre un sprint effréné, comme si quelqu’un avait lancé un freesbee dans l’en-but, et réussit à griller George North pour aplatir en coin. 10-0.

Bubulle le finisseur. (©BeIn Sports)
24e : Je marque une pause dans ce compte-rendu puisqu’on en a tous pris une devant nos télés pour se demander « eh, mais le XV de France ne serait-il pas en train de super bien jouer au rugby ? ». La réponse est oui et ça fait plaisir. Malheureusement, le score n’est pas aussi lourd qu’il aurait pu être car Parra loupe à nouveau la transfo – très difficile celle-là.
27e : Les Gallois marquent eux aussi une pose pour se dire « eh, on serait pas en train de perdre contre le putain de XV de France ? ». La réaction d’orgueil est immédiate avec une nouvelle percée de Liam Williams. Lopez se met à la faute au sol, et Anscombe peut alors tenter une pénalité à moins de 40 mètres quasiment en face des poteaux. Et c’est encore raté. On avait plus vu autant de tirs ratés à Saint-Denis depuis l’opération anti-terroriste du 18 novembre 2015 (RIP Diesel, toujours dans nos cœurs).
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29e : En plus de bien jouer à la main, les Tricolores réussissent à mettre la pression sur les Gallois avec un bon jeu au pied, notamment grâce à Parra et Penaud, ce dernier réussissant même à forcer les Rouges à rentrer le ballon dans leur en-but et à concéder une mêlée à 5m. Derrière, les Français pilonnent la ligne adversaire pendant un petit moment, sans succès. Mais ils obtiennent finalement une pénalité. Lopez prend le relais au tee, et passe son coup de pied juste en face des perches. 13-0.
40e : Les hommes de Guilhem Guirado ont encore une bonne occasion d’essai avec un ballon porté à 5m de la ligne, mais c’est bien défendu par le XV du Poireau. Avant la mi-temps, les Bleus réussissent toutefois à creuser un peu plus l’écart avec un très beau drop de 40 mètres de Camille Lopez.

Digne de Yionel Beauxis. (©BeIn Sports)
À ce moment-là, on attend bien sûr les excuses de tous les journalistes du Midol et de l’Équipe, puisque le président de World Rugby en personne se déplace à Paris pour nous remettre le trophée Webb-Ellis. Mais avant cela il reste encore 40 minutes à jouer et soyons réalistes, il ne peut plus rien nous arriver d’horrible maintenant.
42e : Juste après le retour des vestiaires et probablement encore enivré par son drop, Camille Lopez illustre au mieux l’expression « s’enflammer » en tentant une feinte de coup de pied, puis un dégagement. Il est contré et forcé à l’en-avant par Moriarty.

Le tournant du match. (©BeIn Sports)
47e : Essai gallois. Les Poireaux monopolisent le ballon depuis le début de la seconde période, Josh Adams navigue dans la défense trouve une faille au ras du ruck, où Willemse se fait prendre de vitesse. L’ailier joue le 2 contre 1 parfaitement et son demi de mêlée Tomos Williams termine l’action dans l’en-but. 16-7 après la transformation et une question qui nous reste dans la bouche : mais pourquoi donc appeler son fils Tomos ?
53e : Deuxième question : la France est-elle capable d’exploser complètement physiquement / mentalement et de perdre ce match, comme contre l’Afrique du Sud il y a quelques mois ? La réponse est évidemment OUI et Yoann Huget nous le prouve. Après un coup de pied à suivre dans le dos de la défense de Parkes, Bubulle se couche sur le ballon à quelques mètres de sa ligne. Pas besoin de vous décrire la suite, vous avez déjà vu l’image.

… (©BeIn Sports)
J’imagine que c’est le moment où vous vous attendiez à ce que je m’acharne sur l’ailier toulousain. Et bien cela n’arrivera pas. Déjà car ce genre d’erreur peut arriver à tout le monde, y compris à un joueur qui a, en dehors de ça, fait un assez bon match. Ensuite parce que sa détresse après l’action m’a vraiment attristé. Yoann avait exactement la même tête que feu mon labrador quand il avait vomi sur le tapis du salon et qu’il s’en voulait terriblement. Impossible d’être énervé contre lui. On a juste envie de plonger notre main dans cette épaisse masse de boucles noires, de lui caresser doucement le cuir chevelu et de lui dire « Allez, allez, c’est pas grave, ça arrive. Qui c’est qui est un bon n’ailier ? C’est toi qui est un bon n’ailier ? Oui c’est toi ! ».
Bon en attendant, ça fait tout de même 16 à 14 et on commence clairement à avoir chaud au cul.
55e : Après une grosse percée de Jonathan Davies, qui profite d’un plaquage raté de Morgan Parra (vous vous rappelez que les deux ont joué ensemble en club ? non ? c’est normal). Derrière, la défense française est à l’agonie et deux temps de jeu plus tard, Moriarty va marquer presque sans opposition. Mais l’essai est refusé pour une obstruction assez mineure sur Picamoles.
60e : Petit regain de forme pour les Bleus. Lambey réussit un très beau plaquage sur Biggar, qui s’était lancé dans une course en travers douteuse. Derrière, Lauret vient gratter le ballon et offre une pénalité bien placée à Lopez, à 40m quasiment en face des poteaux. Malheureusement, le demi d’ouverture de l’ASM se foire. On en reste à 16-14.
62e : Pénalité, cette fois contre les Français. Bamba est sanctionné sur une mêlée, ce qui est l’occasion de rappeler qu’on ose aller affronter la 3e nation au classement World Rugby avec un joueur du CA Brive. Biggar est moins bigleux que les autres buteurs de la soirée, et permet à son équipe de passer devant pour la première fois, 16-17.
66e : Quand une équipe est dans le doute, il faut envoyer un signal fort, aux coéquipiers comme aux adversaires, et leur faire comprendre que des joueurs de talent sont capables de sortir du banc pour renverser la partie. C’est donc fort logiquement que Geoffrey Doumayrou entre en jeu.
67e : Après un ballon cafouillé sous une chandelle, Ntamack réussit à intercepter une passe dans les 22m gallois. Lopez tente le drop, mais se fait contrer ce coup-ci. Peu après, les Français récupèrent une pénalité en face des poteaux après une grosse domination en mêlée. Cette fois, Camillo Pez passe les trois points, 19-17.
71e : Serin monte une chandelle et Fickou parvient à récupérer le ballon à la lutte. Et là c’est le drame. Serin balance un immonde parpaing, Lopez ne fait pas mieux, et Vaahaminaha hérite du ballon au milieu du terrain. Le seconde ligne de l’ASM va alors tenter un geste technique que même notre meilleur trois-quarts centre serait incapable de réaliser, une quadruple sautée de l’enfer pour Yoann Huget. George North lit l’action comme si c’était « Oui-Oui essaye de jouer au rugby » et intercepte la passe. La défense française ne le reverra plus, d’autant que dans la confusion, Bubulle réussit une sublime balayette involontaire sur Ntamack, rajoutant un gag visuel de plus à une action qui atteignait déjà des sommets en matière de comédie. 19-24.

Les gars, si vous vous obstinez à être plus drôle que ce que j’écris, je vais pas avoir de boulot longtemps, pensez un peu à moi. (©BeIn Sports)
Là aussi, la tentation serait grande de tomber sur Vahaamahina, mais à sa décharge il n’est probablement pas facile d’être très lucide à la 71e minute d’un match international d’une telle intensité. Ensuite, d’habitude, Vaha nous coûte environ 9 points par matchs en faisant des fautes dans les rucks. Là il n’en coûte que 7, ce qui peut donc être vu comme une progression.
80e : Les Bleus vont réussir à remettre la main sur le ballon plusieurs fois pour une « possession de la dernière chance » mais de façon prévisible chacune de ces actions se terminera par un en-avant de merde. Pour ne rien gâcher, Julien Marchand se fait les croisés et voilà qu’Ugo Mola va probablement devoir se racheter un écran plat, après avoir placé un high kick sur celui qui trônait jusque-là dans son salon.
Le bilan
Que dire après un tel match ? C’est la question que je me pose et c’est sûrement aussi celle qui trotte dans la tête de Guilhem Guirado à chaque fois qu’il est interviewé en fin de match. Le pauvre semble de plus en plus déprimé et s’il arrive à aller jusqu’à la Coupe du monde au Japon, il faudra veiller à le tenir à l’écart des magasins qui vendent des katana, au risque d’assister à un seppuku en direct à la mi-temps de France – Argentine.

Probablemenr le GIF qui exprime le mieux l’expression « en avoir gros sur la patate ». (©France 2)
A priori, cette équipe de France n’est pas si nulle. Depuis l’arrivée de Jacques Brunel, elle a réussi à battre l’Angleterre et l’Argentine, et elle est passée à un sourcil de Yoann Huget de battre l’Afrique du Sud, l’Irlande et le Pays de Galles – deux fois maintenant. Alors, est-ce que le problème est mental ? Est-ce qu’on manque de leaders ? Est-ce qu’on ne peut pas tenir 80 minutes à ce niveau ? Est-ce que ce n’est tout simplement pas cette bonne vieille French Chatte qui refuse de revenir à la niche ? Tout un tas de journalistes, consultants, experts et anciens joueurs vont partager leurs théories et leurs solutions toutes prêtes dans les jours qui suivent. Moi je n’en ai pas vraiment, et de toute façon on me fait signe que ce papier est déjà beaucoup trop long.
Je vais tout de même terminer sur une note positive en rappelant que la défaite est un art, et qu’aujourd’hui dans le monde du rugby, personne ne perd avec autant de panache que la France. Rendez-vous compte, nous sommes tellement fiers et orgueilleux que nous refusons de nous laisser battre par nos adversaires. Nous préférons nous battre nous-mêmes, tout seuls comme des grands, après s’être tiré au fusil à pompes en plein dans l’orteil. Et d’une certaine façon, c’est assez beau. Vendredi, j’ai pris du plaisir à voir ce XV de France perdre d’une façon si créative et inattendue et j’espère qu’elle m’en donnera encore la semaine prochaine en Angleterre. Et qui sait, si ça se trouve, on va peut-être même réussir à gagner sur un malentendu, juste pour priver nos ennemis favoris du Grand Chelem. Parce que finalement, c’est aussi un peu ça être Français : ne pas gagner souvent, mais faire chier toujours.